Le crâne de Fédor : voilà un lieu où se rencontrent et s'entrechoquent les deux dernières grandes idéologies du monde moderne. Pour cet article en particulier, j'aimerais assez me faire appeler Elisabeth Fédorovna, parce que F. Dostoïevski fut pour moi une sorte de père spirituel. Evidemment, dans un tel cas, le parricide est sous-jacent... Mais avant d'en arriver là, jetons un oeil dans les tréfonds de son crâne.
Fédor, comme on le sait, fut condamné à mort pour ses activités révolutionnaires, et gracié in extrémis. Cette petite "aventure" le marquera pour le restant de sa vie. Dès lors surgiront dans sa littérature d'étranges personnages, presque caricaturaux (j'ai dit presque parce qu'ils semblent très conscients de la caricature qu'ils font d'eux mêmes), abreuvés de thèses politiques d'avant garde, déchirés par leur mysticisme, défenseurs d'un relent d'ordre moral, et finissant le plus souvent au goulag, soit fous, soit suicidés.
Les héros dostoïevskiens sont souvent des jeunes hommes aux figures christiques, mêlées d'idiotisme, de démence, voire de machiavélisme. Bref, un paradoxe.
Freud a écrit : "Dans la riche personnalité de Dostoïevski, on distingue quatre aspects : l'écrivain, le névrosé, le moraliste et le pêcheur." Mais il finira sa préface en soulignant surtout l'aspect névrotique : " L'angoisse envers le père est bien trop connue pour qu'il soit nécessaire de faire plus que la mentionner". Telle est la dernière phrase de sa préface des fréres Karamazov. Il écrira en outre dans sa correspondance privée : "Je n'aime pas réellement Dostoïevski. Cela vient de ce que ma patience envers les natures pathologiques s'épuise entièrement dans l'analyse".
Mais pour moi, plutôt qu'un cas clinique, Dostoïevski est avant tout le réceptacle d'une époque charnière, époque à laquelle les croyances sont mourantes mais non pas mortes, et où l'idéologie communiste s'ammorce tout juste. C'est le temps où se combattent à mort les derniers géants de l'aliénation humaine, avant l'avénement du nihilisme, puis du cynisme ambiant.
A présent, je ne dirais pas que rien n'a de valeur, mais que tout n'existe qu'à titre spéculatif, et donc relativiste. Qui voudrait encore mourir pour une idée ? Certes, il y a bien des fanatiques, mais le terreau dont ils jaillissent (même pour ceux qui accèdent aux jouissances matérielles) est fondé sur la négation de leurs propres valeurs*; il s'agit donc plutôt d'une attaque défensive, et non pas de la survenue d'une idéologie neuve.
Non... Vraiment, non... Il n'y a guère d'âme abyssale dans la carcasse contemporaine. Les profondeurs "dostoïevskiennes" n'ont qu'un très faible écho dans nos crânes (quoiqu'il y ait beaucoup de névrosés, mais ça n'a rien à voir).
Ce qu'il y a d'admirable chez Dostoïevski, c'est qu'il croit à chacune des idées qui le possèdent, et qu'il croit également à la nécessité de n'y plus croire, tout en se forçant encore à croire aux démons... dont il doute...
Ce que j'écris manque t'il de clarté ? En fait, sa dualité, c'est la volonté d'illusion contre celle du néant. Enfin, je crois...
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*Je ne sais plus du tout ce que j'ai voulu dire par là. En fait, de quel terreau jaillissent-ils? Et de quelles valeurs est il question??? Si j'arrive à m'en souvenir, il faudra préciser.