Aujourd'hui, voici l'introduction à mon nouvel ouvrage ; des travaux qui vont sans doute passer par de nombreuses phases avant de trouver leur forme définitive. EXTRAITS :
L’hypnose a porté bien d’autres noms (quelquefois mieux appropriés) que celui dont elle a hérité d’Hypnos – dieu du sommeil. Parmi ces divers termes ou appellations, nous pouvons compter : le magnétisme animal, le mesmérisme, l’imaginationnisme, la suggestibilité, le somnambulisme et même la simple croyance… Au milieu du XIXème siècle, le médecin écossais James Braid tenta de renommer l’hypnose « monoïdéisme », ses travaux l’ayant amené à la conclusion que l’état de conscience recherché correspondait mieux à la concentration du sujet sur une idée fixe, plutôt qu’à un glissement de l’esprit dans le sommeil. Ainsi, l’hypnose correspondrait davantage à un état de conscience exacerbé qu’à un état d’inconscience. Mais puisque l’attention que nous portons à une idée (voire à un objet, ou à un cadre d’action) est inversement proportionnelle au brouillard où tombe instantanément tout ce qui n’excite pas notre intérêt, nous pouvons dire que l’état hypnotique recèle à la fois un accroissement et une déperdition de conscience. De fait, dès que nous nous conditionnons en vue d’un certain objectif, nous ne percevons plus que ce qui peut directement servir à son accomplissement ; et s’il arrive qu’une telle obnubilation soit profitable, celle-ci peut également nous couper d’autres réalités auxquelles nous devenons momentanément (ou définitivement) impropres ou étrangers.
Lorsque nous parlons d’hypnose, nous sommes toujours sur le point de basculer dans tout et son contraire – tant son domaine est vaste et ambivalent – mais, puisqu’il nous faut quand même en déterminer le champ, nous la trouverons généralement associée à tous les modes de représentation mentale, comme à la codification de n’importe quel système collectif. Autant dire que l’hypnose fonctionne comme un langage. C’est ce que les linguistes Pascale Haag et Nathalie Roudil-Paolucci ont bien noté dans leur petit ouvrage sur les idées reçues en matière d’hypnose : « On peut dores et déjà rappeler que chaque culture, à des époques et sous des latitudes différentes, engendre un ensemble d’habitudes et de représentations mentales – coutumes, lois, croyances, techniques, formes d’art, langage, pensée – un système singulier qui se communique par des moyens divers. Le conditionnement culturel qui en résulte, façonne les esprits et détermine les comportements. Selon l’objectif et le contexte, différentes méthodes dont la transmission repose généralement sur un apprentissage codifié, permettent d’accéder à l’état de conscience recherché [1]».
D’âge en âge, une succession de perceptions et de représentations variées nous captivent et nous libèrent tour à tour. Il serait vain de se demander si les illusions d’aujourd’hui valent mieux que celles d’hier, car il ne s’agit pas de comparer des représentations entre elles, ni des modèles de société entre eux. Il s’agit de percer le secret d’un processus, en deçà des images qu’il produit et reproduit sans cesse… Pour cela, il nous faut pénétrer dans une sorte de « non lieu ». A qui convient-il d’explorer cette zone ? Ni le philosophe, ni le théologien, ni le psychanalyste n’en est venu à bout – quoiqu’ils aient tous essayé (à leur manière) de nous délivrer de nos conditionnements ou de nos fantasmes, afin que nous puissions affronter ce qu’il y a dans la zone. Mais tandis que nous nous arrachons au pouvoir hypnotique de tel ou tel symbole usé, de nouveaux modèles nous hypnotisent déjà... Ainsi défilent et se superposent les représentations que nous nous faisons du monde et de nous-mêmes. Et nous ne saurions nous en débarrasser, sous peine d’être privés de langage, de mémoire, d’humanité… Nos représentations nous sont aussi nécessaires que pesantes, et leur juste appréhension a quelque chose d’inextricable. C’est ici, cependant, que se pose la plus fondamentale des questions. Celle du sens… ou du non sens…