L'aventure remonte à janvier 2006. J'ai coutume d'errer à travers les dédales de l'existence et souvent je m'égare, même à côté de chez moi... Mais ce jour là, j'avais prévu d'assister à une conférence sur les volcans, sans qu'il y ait dans cet élan la moindre contingence.
- Pourquoi ça ? me dira t'on.
Eh bien, je voulais récolter un peu de documentation pour un simple conte de fées (dans lequel devait figurer un monarque des magmas). L'explication semblera légère, mais après tout, il m'en faut peu, et je disposais alors d'une grande liberté de temps et de mouvement.
La conférence en question devait avoir lieu à l'Académie des sciences, ou peut être devrais je dire l'Institut de France. L'édifice se trouve en face du Palais royal. Il y a là quelque chose de solennel et d'écrasant. Je n'y étais jamais venue et je dois dire que l'endroit repousse de lui même les profanes par son aspect austère et ses mines hiératiques.
Bien entendu, je m'y perdis. Bien entendu, je trouvai là matière à mon errance. Bien entendu, l'endroit se mua pour moi en authentique labyrinthe... Il y avait une cour pavée et divers bâtiments. J'empruntai un large escalier extérieur, au hasard, et je me retrouvai dans une grande salle entièrement désertée. Le décorum avait de la magnificence. Un petit escalier sur le côté menait à une sorte d'antichambre pleine de portemanteaux. Enfin bref, il n'y avait pas la moindre trace de conférence, ni d'ailleurs âmes qui vivent. Je fus, du reste, assez surprise qu'on puisse y entrer comme dans un moulin, surtout quand on connait le dispositif de sécurité qui se trouve (par exemple) à l'entrée du centre Pompidou. Mais poursuivons notre chemin...
Je fis donc marche arrière avant de m'orienter vers le bâtiment d'en face : une bibliothéque, ce me semble. Les mêmes dédales déserts se présentèrent à ma vue. J'empruntai un nouvel escalier montant et j'arrivai bientôt devant un petit bureau étonnamment ornée d'une créature humaine. C'est à dire qu'à ma grande surprise, quelqu'un y était assis : une femme qui leva les yeux sur moi et à laquelle je demandai où était la grande salle des conférences.
- Je n'en sais rien, répondit elle, mais ce n'est pas ici. Vous devriez demander à l'accueil.
L'accueil ? Y avait il donc un accueil ? Avais je vu un accueil avant de m'engager dans ces hauts bâtiments ? Certes, j'étais d'abord passée devant une sorte de cabine de garde frontière avec un barrage pour les véhicules, mais je n'avais nullement identifié cet individu comme exerçant une fonction de nature hospitlalière. Enfin bon, j'en avais préjugé. Je retournai donc sur mes pas et je demandai à cet homme où était la salle de conférence.
- Il faut passer sous la voute, dit il. Ce sera la première porte sur votre gauche, au deuxième étage.
La chose était donc impossible à deviner... Je note l'information pour ceux qui voudraient voir par eux mêmes car (quoique le lieu soit ouvert) le public ne s'y aventure pas tellement. Comme je l'ai dit plus haut, il y a là une ambiance qui maintient la plèbe à distance "respectueuse".
Il y avait déjà un quart d'heure que je tournais en rond lorsque je pénétrai enfin dans le bon bâtiment. En bas, je vis des grooms en livrée verte. Dorures, escaliers tapissés... Je me rendis au deuxième étage. Boiseries, statues de marbre... Avant d'entrer dans cette fameuse salle de conférence, je vis trois femmes faisant signer de petites fiches aux arrivants, debout derrière une simple table. Elles me confirmèrent que ladite conférence était ouverte au public. Chose étrange... J'entre. Je vois une place libre au beau milieu de la pièce. Je m'assieds, puis j'observe. La salle était pleine d'individus austères et grisonnants. Il y avait un micro devant moi, et à quelques mètres sur ma gauche, j'aperçus la tête d'un ancien ministre de l'Education Nationale (un certain Claude Allègre). Ce n'est qu'alors que je me demandai si telle était bien ma place.
- Ne suis je pas assise dans le fauteuil de quelqu'un d'autre ? demandai je à mon voisin de droite.
L'homme parut un brin surpris de mon apparition (il est vrai que mon aspect détonnait quelque peu avec le reste de l'assemblée, et puis j'étais vêtue de rouge).
- En général, le public se place plutôt contre le mur, répondit l'individu. Mais les places ne sont pas réservées, alors faîtes donc.
Puis après trente secondes, il lui vint à l'esprit de rajouter une note d'humour.
- En fait, reprit l'homme, vous vous êtes installée à la place d'un ancien ministre qui n'aurait cédé ce siège pour rien au monde, mais puisqu'il vient de mourir...
Sur ce, l'homme éclata de rire, de concert avec au autre individu un peu plus gras. Voilà pour mon entrée en ces lieux. A présent, je m'intéresserai à la nature de la conférence.
Le ton de l'exposé n'était pas à la vulgarisation des connaissances mais plutôt à la querelle entre écoles. Il s'agissait de défendre une thèse contre une autre et, si j'ai bien compris, ces messieurs semblaient s'opposer à la théorie de l'impact. Faisons un bref résumé de ce que j'en ai retenu : Il est couramment enseigné que la disparition massive de certaines espèces (celle des dinosaures en particulier) serait dûe à l'impact d'une météorite. Les cratères identifiés font d'ailleurs figure de preuve. Mais pour les conférenciers ici présents, il s'agissait de mettre en évidence un autre phénomène, celui d'irruptions volcaniques ayant déjà régulièrement éclaté sur le globe, quoique à un rythme fort espacé (des dizaines de millénaires, voire peut être des centaines). Ce phénomène était présenté sous le nom de "trappes" (l'hortographe est sans doute incorrecte, mais je n'ai pas pu retrouver ce terme dans mon encyclopédie).
Au delà de ces considérations, il me sembla que les conférenciers s'appliquaient à souligner l'aspect naturel de la chose. Bientôt, la conférence en vint à s'attarder dans le domaine de la climatologie. Les questions furent alors : A t'on vraiment les moyens de mesurer le réchauffement climatique de la planète ? N'est ce pas une simple hypothèse ? Une légende ?
A nouveau, ces messieurs soulignèrent le caractère "naturel" des catastrophes et des bouleversements géologiques, qu'il s'agisse de la fréquence des tornades, des canicules ou que sais je ? Comme il y avait dans tout cela une imperceptible tendance à décharger l'action de l'Homme de son "impact" sur l'environnement, de tels propos ne tardèrent pas à exciter la polémique. Les petits micros disposés sur nos tables constituaient par eux mêmes une invitation au dialogue, mais précisons au passage que les noms et les questions des intervenants étaient déjà inscrits sur les fiches de nos chers conférenciers. Dans ce monde des hauteurs (ou faut il dire Elite ?) les gens commencent par se faire des politesses avant de se lancer des piques. Les mielleuses insultes qui fusèrent courtoisement dans la salle, mirent principalement l'accent sur le carctère éphémère des théories en la matière, puisqu'un nouvel élément venait régulièrement détruire telle ou telle thèse dans les deux ans qui lui faisaient suite. Enfin, mon but n'est pas ici de retracer l'exact déroulement du débat. La chose se fit à la mode parisienne, c'est à dire, sur le ton de l'opposition. On se cherche querelle. On ricanne quand un autre déclame. On se fait des courbettes et des croche-pattes. Il y a là quelques ressemblances avec le style de l'Assemblée Nationale (les personnages semblent rétroactifs).
Quoi qu'il en soit, la Science montra un visage fragmenté en diverses spécificités, certes pointues mais fatalement enclines à la cacophonie...
A un certain moment, un homme posa une question sur l'apparition des plantes à fleur. Il demanda s'il était possible d'établir une corrélation entre la disparition massive de certains végétaux, le renouvellement des espèces et l'apparition spécifique des fleurs. J'ignorais pour ma part que les fleurs aient été tardives dans le règne végétal, mais après tout, je ne suis pas une spécialiste. Quant au conférencier, il usa de termes choisis pour répondre à cette question, mais en gros, ses mots furent : Je l'ignore.
Oui ,ceci est un labyrinthe ! Labyrinthe des codes, des idées et du langage. Voilà donc l'impression que me laissa cette conférence. Certes, elle posa des questions et ouvrit bien des voies tentaculaires, mais de réponses, elle n'en apporta guère (en tout cas, pas à moi).
Montrer qu'on maîtrise son sujet, même lorsqu'il est sans fond, tel est le tour de force de ces grands orateurs. La séance s'acheva sous les applaudissements, et je dois dire que c'est tout un art que d'avoir l'air sûr de soi, solide et éclairé, alors qu'on danse sur un volcan.