S'il est une créature fondamentalement répulsive qui n'a eu de cesse de cultiver l'ambiguité jusqu'à la plus subtile attraction, c'est bien le vampire.
Ce cadavre ambulant qui fut longtemps hideux dans les mythologies les plus diverses, acquiert (presque soudainement) un charme inattendu... La chose se révèle dans la littérature du XIXème siècle, au crépuscule d'un monde... Avec l'industrialisation, l'exode rural et la sécularisation, l'univers change de face. L'espoir d'avenir est grand, mais la nostalgie apparait presque aussitôt... Le vampire de Polidori en 1819, la morte amoureuse de Théophile Gautier en 1836, la Carmilla de Sheridan le Fanu en 1872, jusqu'au Dracula de Bram Stocker en 1897, constitueront le terreau d'imageries qui ne s'évanouiront ni au siècle suivant, ni au XXIème. Le vampire, peu à peu, s'éloigne des forêts obscures, des châteaux isolés, et se normalise. Ce maître du temps passé, issu de la noblesse guerrière, devenu rebelle à l'Eglise (selon le roman de Stocker), se retrouve donc à errer sans âme dans un monde qui ne lui reconnait plus aucune place, contraint de sucer le sang des vivants et de faire illusion. Or voilà justement à quoi l'individu déraciné des temps modernes va pouvoir s'identifier. Un parasite, certes. Un prédateur, mais souvent porteur d'une mémoire, collectionneur d'objets précieux, pourvu d'une culture, d'une histoire immense, d'un savoir vertigineux, d'un pouvoir surnaturel, et pourtant... impuissant devant un rayon de lumière ou le coeur d'un être humain.
Notifions expressément la beauté envoutante dont est presque toujours agrémenté notre cher parasite.
Le vampire est une image vide qui attire et aspire l'essence de ceux qu'il séduit. Un pur stimulus, sans espoir d'accomplissement. Une béance impossible à combler. Est-il donc étonnant de retrouver cette thématique dans une telle profusion de fictions contemporaines ? Certainement non. Tout cela est merveilleusement adapté à notre époque. Car après que les temples et les châteaux des anciens mondes se soient reversés, rien ne semble les avoir remplacés, exceptée la soif éternelle d'un peuple de "consommateurs" à la bourse toujours plus molle.
Le vampire, symbole de l'addiction sans fin, tourne en rond dans son caveau ou contamine tous ceux dont il croise le chemin, mais parvient cependant à jouir de sa triste condition, de par la fascination qu'il suscite. La beauté et la jeunesse lui sont indispensables. Que serait-il sans son image ? Un cadavre conscient de son état, et rien de plus. Il faut donc rendre cet état séduisant. Bien qu'il soit (techniquement) mort d'une mort éternelle, il préférera mettre en avant son immortalité. Comme le terme "mort-vivant" se prête au double sens, pourquoi s'en priver ?
Le cinéma, cette machine à produire des icones, n'est évidemment pas passé à côté d'un tel personnage. Au début du XXème siècle, le vampire est encore un objet d'horreur, quoique l'érotisme y pointe explicitement le bout du nez. Mais à la fin du siècle, la chose a atteint la fine pointe du star système. Les vedettes du box office, les monstres sacrés, l'élite, l'avant garde : tous sont susceptibles d'incarner le vampire. Catherine Deneuve et David Bowie dans les Prédateurs de Tony Scott, en 1983, eurent un succès mitigé avant que ce film ne devienne culte. Mais la rencontre avec la conscience populaire ne tardera pas. Dans les années 90, Brad Pitt et Tom Cruise se glisseront à merveille dans la tombe. Dans la première décennie du XXIème siècle, le vampire se fait plus lisse et charmant que jamais. Il s'arrange gracieusement pour ne plus tuer. Il sait se fondre dans la masse et s'adapte désormais au contexte. Sanguinaire, il se contente pourtant de sang de synthèse dans la série True blood, ou de sang d'animal (pour les nouveaux Roméo et Juliette de Twilight). Solitaire, il use d'armes à feu, maîtrise la haute technologie et s'entraine au combat pour défendre son clan, dans les opus d'Underworld. Le voici romantique et protecteur, quoique toujours maudit... Une normalisation toujours plus grande. Un parasitisme toujours plus esthétique. L'acceptation d'une condition humaine universelle, irrémédiable mais sans jugement. Un vampirisme collectif, érigé en idéologie muette. Dans le film Daybreakers, le vampire dicte la norme et contrôle le marché dont la principale source d'énergie n'est autre que le sang humain. Un sang de plus en plus rare, mais une éternité toujours aussi séduisante aux yeux du plus grand nombre... Tant que demeure la séduction, après tout, on peut même trouver du charme à l'horizon d'un vampire... Tel semble être notre nouveau héros récurrent. S'il advenait que le cannibalisme succède au vampirisme avec la même sensualité, peut-être y verrions nous quelque chose d'inquiétant. A méditer...